En début d’année scolaire, les dix-huit mousses de quatre ans qui forment mon groupe ont grandement profité du soleil. On allait jouer dehors le matin pendant une trentaine de minutes et on y retournait au milieu de la matinée. On y allait aussi après le dîner en plus d’après la détente en fin de journée. On leur a enseigné à faire de la craie au sol. Ils ont couru après les ballons, joué avec les petits animaux, ramasser des roches. C’était tellement facile et agréable.


L’automne est ensuite arrivé. Pas de problème : on enfile son petit coupe-vent, Marie-Philippe t’aidera avec la fermeture éclair. Certains enfants changeaient leurs souliers pour de petites bottes de pluie qu’ils mettaient à l’envers : « Change tes chaussures de pied minou, elles sont à l’envers! » On peut toujours faire de la craie, courir après les ballons, ramasser des roches. La pluie s’est toutefois faite de plus en plus présente. On a donc de moins en moins joué dehors. On a attendu la neige avec impatience.


Enfin, la neige est arrivée! J’avais pensé à des tonnes d’activités extérieures; glissades, bonshommes de neige, châteaux forts… On allait avoir du plaisir. Il y avait par contre une chose à laquelle je n’avais pas pensé. Un tout petit détail : l’habillage. Pour être honnête, aller jouer dehors était devenu un cauchemar. Je me suis vite rendu compte que parmi mes dix-huit élèves, plus de la moitié ne savait pas comment s’habiller pour aller jouer dehors.


Par « Savoir comment s’habiller », je n’entends pas choisir des vêtements adaptés. Tous arrivent à l’école avec la tuque, le cache-cou, les mitaines, le manteau, le pantalon de neige et les bottes. Personne n’a de choix à faire; tu mets TOUT! Ça me semblait tellement évident, tellement facile. Erreur. La plupart ne savaient pas quel morceau mettre en premier. Dix-huit enfants qui, en même temps, viennent te voir en pleurant et en criant. Si c’était désagréable pour moi de les entendre, je n’ose même pas imaginer pour eux qui le vivaient. « J’suis pas capable de mettre ma salopette » alors que les bottes sont déjà dans les pieds. « J’trouve plus mes mitaines » alors que chacun a son bac bien identifié pour mettre ses choses. « Lui laaa, il m’a poussé » alors qu’il était en train d’enfiler son manteau et qu’il a perdu l’équilibre… Et ça, c’est sans compter le nombre de fois où j’ai seulement entendu crier mon nom sans que je comprenne pourquoi. J’ai pensé changer de prénom à ce moment justement. C’était un réel cauchemar. Avec mes collègues, on a donc décidé de rester dehors à l’arrivée des enfants pour se faciliter la vie à tous.


Malgré cette sage décision qui nous permettait d’éviter beaucoup de frustrations, je me disais que ces enfants devaient quand même apprendre à s’habiller pour aller jouer dehors. Qu’allaient-ils faire l’an prochain? À la maternelle 5 ans, on est grand et il faut faire ça tout seul. J’ai donc trouvé une comptine qu’on a chantée pour apprendre les étapes de l’habillage et on s’est pratiqué. On a affiché la séquence dans le corridor pour qu’ils aient des repères visuels et qu’on arrête de répéter. Ils sont devenus bons, très bons même. Je pourrais même pousser jusqu’à dire autonome pour la plupart. Ils enfilent tous les morceaux dans le bon ordre. Il ne reste qu’à mettre le manteau par-dessus les mitaines, ce que les adultes font pour eux. Je les trouve bons mes petits élèves. Ils s’habillent maintenant rapidement, dans le bon ordre et mettent presque toujours leurs bottes dans le bon pied.


Maintenant que les enfants ont appris à le faire, il fallait apprendre aux parents à laisser leur enfant le faire eux-mêmes. Ça, c’était un bien plus grand défi. Apprendre à un parent que son enfant peut et doit se passer de lui. Je ne peux pas compter le nombre de fois où on a dit « Montre à papa comment t’es bonne! » ou « Explique à maman les étapes de l’habillage qui sont affichées sur le mur. Montre-lui comment tu fais. » Parce que papa, il s’agenouillait et il mettait les bottes à sa petite. Parce que maman, elle met la tuque et le cache-cou à son petit bonhomme. Parce que moi, je ne peux pas habiller dix-huit enfants à la fois et m’habiller en même temps pour aller jouer dehors. Parce que moi, je ne peux pas remettre à l’endroit trente-six manches de manteau, remettre trente-six feutres dans le fond des trente-six bottes, mettre dix-huit tuques, douze cache-cous et six foulards.


Pour certains parents, j’ai été l’adulte qui manque de cœur en leur disant de laisser leur enfant se débrouiller, qu’il allait trouver une solution, que je n’ai jamais laissé personne mourir de froid. Finalement, aujourd’hui, ils sont épatés par leur enfant qui grandit et qui gagne en autonomie.


Tout ce texte pour vous dire, chers parents, qu’il n’est pas toujours facile de voir que son enfant peut se passer de soi, qu’il soit l’aîné, le plus jeune ou l’unique de la famille. Je le sais. Mais je sais aussi que votre enfant est intelligent, qu’il se sent valorisé lorsqu’il fait preuve d’autonomie et qu’il peut se débrouiller seul. Rendez-lui ce service. Votre enfant est capable. Votre enfant aime ça « Faire comme un grand »!

 

Marie-Philippe Brière
Enseignante en maternelle 4 ans